Les voyages agricoles de M. de Lamothe en Périgord

A la fin du XIXe siècle, Louis de Lamothe a publié le récit de ses voyages dans le département.

Voir https://wiki.shap.fr/index.php?title=Voyages_agricoles_en_P%C3%A9rigord

Voici un extrait qui concerne Neuvic et des communes proches (Tome 2, chap 4, pages 407 à 428) 1


 

 

Le train fait halte. Nous sommes à la station de Neuvic. Je descends du wagon, confie ma valise au chef de gare, et muni de ma canne, me mets en route pour gagner le chef-lieu de canton. J’arrive en peu de minutes à un pont tout neuf et qu’on ne franchit que moyennant finance. Cette taxe d’ailleurs n’a rien d’exagéré. Elle n’est, en effet, pour un piéton que de trois centimes. J’en donne cinq. On m’en rend deux en belles pièces, très brillantes encore quoique frappées en 1862. C’est qu’on ne fait guère usage en France de cette monnaie là.

Je les octroie généreusement à un gamin qui les couvait de l’oeil et qui les emporte ravi en gambadant de joie. L’enfant, comme l’homme, aime déjà tout ce qui luit, que ce soit ou non de l'or 2, La route monte en demi-cercle, au milieu de prés où l'on voit encore de larges flaques d'eau, suite des longues pluies, et de bons champs de blés. Le bourg est dans une jolie position au centre de la haute plaine dominant le parcours du chemin de fer et considérant en face de lui des tertres crayeux et boisés. C'est un lieu fort paisible avec deux places plantées d'arbres, où chaque mois il se tient de forts marchés, et par an trois ou quatre foires peu suivies. la halle, de proportions exiguës est une salle carrée bordée de portiques, supportant la justice de paix et la mairie. Plusieurs routes aboutissent à Neuvic qui tend ses bras pour atteindre , par leur moyen, la grande voie de terre de Bordeaux à Lyon qui passe tout près et vers laquelle il s’allonge, en un si persévérant et victorieux effort, que bientôt, le village de Théorac, riverain de cette ligne, sera dans son enceinte. C’est vers cette direction qu’est la caserne de gendarmerie, long corps de logis composé d ‘un simple rez-de-chaussée, abritant une brigade à pied, tout proche de l’école libre tenue par les Frères Maristes, émules de l’école communale laïque. C’est aussi dans ces parages que l’on doit bâtir, m’assure-t-on, un hôpital pour la fondation duquel une personne charitable aurait donné 70 000 francs à elle seule. Plusieurs offrandes, relativement importantes, dues à d’autres notables, sont paraît-il, venues grossir cette somme considérable. on compte, à Neuvic, plusieurs hôtels, ou pour mieux dire auberges, passables, quelques habitations assez belles et des magasins suffisamment fournis. L’église, réparée récemment, est surmontée d’un clocher neuf dont la flèche, flanquée de quatre tourillons, élancée mais un peu grêle, produit un effet agréable au loin et rehausse la physionomie de l’endroit qui, sans cela, paraîtrait un peu plat. La nef est ogivale avec bas-côtés, dont celui de droite compte deux chapelles, tandis que celui de gauche n’en a qu’une.Au-dessus du transept est une coupole d’assez grande hauteur. Le chevet oblong est percé de sept fenêtres ; la tribune assez jolie, repose sur des piliers bien sculptés. Du portail partent deux barres de fer qui se prolongent assez loin vers le sanctuaire. L’intervalle entre elles est réservé pour le passage du public et du cortège lors des offices. Au moment où j’y pénétrai, l’on venait de placer contre la porte d’entrée, et en long, vis-à-vis de cette allée, un brancard juste de la largeur de ce chemin et destiné à porter les morts. Le catafalque était précisément dressé pour un enterrement et l’on aurait dit que le défunt allait, de la place, rouler en wagon sur des rails jusqu’au lieu qu’il devait occuper pendant la cérémonie funèbre. L’illusion était complète : un étranger qui n’aurait pas pris de renseignement s’y serait, à coup sûr, trompé.

Le château de Neuvic est à quelque distance du bourg, sur la gauche. On y parvient, à travers champs, en suivant une modeste allée d’arbres fruitiers. La situation de cet édifice est magnifique. Aux bords de l’Isle il domine de grandes prairies et le pont dit de Planèze, du nom d’un gros centre sur l’autre rive et où la station du chemin de fer aurait été parfaitement placée, si l’on n’avait tenu pour diverses raisons, à l’établir au débouché de la vallée du Salembre. Les anciens bâtiments de servitude ont disparu pour la plupart ; les fossés sont comblés ; du chemin de ronde il ne reste guère que le souvenir. La cour est à peine close par une simple barrière en bois, et l’aile de l’est n’a peut-être jamais été construite, mais celle de l’ouest est splendide et la façade est imposante. Le vieux manoir hérissé de tours, de pavillons, de tourelles, couronné de créneaux et de mâchicoulis, est admirablement conservé dans ses parties essentielles. Tel qu’il apparaît, six cents hommes pourraient y loger, dit-on et l’on affirme que l’on y compte autant d’ouvertures que de jours dans l’année. Sa masse et son aspect sévère font naître le respect, sentiment qu’excitent également, avec la vénération la plus sympathique, les vertus de celle qui l’habite. J’ai, sous la conduite d’un vieux serviteur, parcouru les vastes offices voûtés et presque tous les appartements, dont plusieurs, de même qu e certains corridors, sont encore pavés en briques. Le salon est beau, bien placé, donnant sur une étroite terrasse au-dessous de laquelle coule la rivière, bordée du chemin de hallage qui longe ainsi les bâtiments seigneuriaux. On aurait pu, ce me semble, le faire passer de l’autre côté de l’Isle, mais à cette époque, on aimait à tourmenter ceux qui professaient telle ou telle opinion politique. Chacun sait que c’est chose peu commune en France ! Donc, M. le comte de Mellet, général sous le règne de Charles X, était légitimiste, et l’administration d’alors comprit qu’il était urgent de lui jouer un mauvais tour. Aussi persista-t-elle dans le tracé proposé assurément peu nécessaire sans ce grave motif. La suite de cette malice n’a pas eu, du reste, de suites fâcheuses pour le coup d’oeil du château, si elle est gênante pour le propriétaire.

Le grand escalier large, commode, sans être monumental, contraste agréablement avec les échelles étroites et mesquines auxquelles on donne maintenant ce nom pompeux. J'ai déjà raconté la légende de l'époux outragé, faisant saisir sur un de ses paliers son rival, qui fut,d 'après son ordre, jeté dans un four et brûlé vif. La pente de cet escalier est très douce et ses marches sont très peu hautes,ce qui a donné lieu sans doute de dire que Henri IV le gravissait à cheval. Il eût pu, d’ailleurs, le faire facilement. Le Béarnais aimait Neuvic ; il y venait souvent et l'on montre l'appartement qu'il y occupait. L’on y voit son portrait en costume de guerre et vis-à-vis, ceux de deux frères, MM. de Mellet, dont un fut au nombre de ses principaux officiers à la bataille de Contras où il périt et l’autre fut aussi tué dans la même affaire en combattant avec Joyeuse. C'est une chose charmante que la guerre civile ! On a fait de cette vaste pièce une salle de billard, sorte do jeu que le Béarnais ne connaissait guère, n'ayant, en fait de billes, que des balles et des boulets. On y a joint une bibliothèque. Je regrette que l'on n'y trouve plus les vieilles tapisseries et les meubles du temps. l.e grand Sully séjourna lui aussi plus d'une fois à Neuvic.
Mme la chanoinesse de Mollet, à laquelle appartient ce véritable palais du moyen-âge, m'a fait l’honneur de me recevoir avec sa grâce habituelle et. sa bonté charmante. Elle- même a voulu, malgré mes instances pour qu’elle ne se dérangeât pas, me montrer son oratoire où, plusieurs fois par jour, elle vient demander à Dieu d'adoucir la tristesse de la solitude à laquelle la condamne la santé de son frère éloigné d'elle et que retiennent, dans ses terres de la Champagne, les soins de sa famille et de ses propriétés. Cette chapelle est fort simple, beaucoup plus qu'on ne le croirait en voyant ses dehors ; mais la châtelaine est l’ennemie du faste. Elle n'use de son or que pour adoucir des misères ou faire des largesses utiles comme, par exemple, en fondant l’école des Frères-Maristes, qui lui doit son existence et une efficace protection. Tout modeste qu'il soit, ce petit sanctuaire lui suffit ; elle y est au milieu des siens. Son père, sa mère, un de ses frères, mort jeune, y reposent. Elle les y retrouve ; elle s'adresse à eux ; ils lui parlent. Et le coeur quand il peut ainsi s'épancher, loin du bruit, dans l'intimité, n'a pas besoin des ornements qui flattent l'oeil et Ia vanité. Que lui importe, en effet, l’éclat, alors qu'il est tout entier avec des êtres aimés ? C'est alors qu'il est réellement heureux. En sortant, la respectée bienfaitrice de la contrée m'a longuement entretenu de bonnes oeuvres, auxquelles elle participe généreusement même de loin, et a tenu à verser entre mes mains une forte aumône pour les pauvres protégés de ma belle-sœur, Mlle de Tessières, dont l’ardente charité ne lui est point inconnue. Il existe entre les coeurs d'élite, comme un courant électrique qui les fait s'apprécier mutuellement et soutenir, chacun dans la mesure de ses forces, pour l’accomplissement de ce qui est bien.
D'abondantes sources sorties du roc vif, une magnifique allée de chênes séculaires,des magnolias admirables, peut- être les plus beaux qu'il y ait en France, un remarquable parc, d'immenses prairies, une plantation considérable d’arbres imposants au-delà de l'eau, accompagnent et entourent la majestueuse résidence, séjour vraiment délicieux. La terre, dont le château de Neuvic est le centre, renferme 200 hectares et comprend quatre superbes métairies ceignant le bourg et traversées par la route nationale de Bordeaux à Lyon. Plusieurs fois divers des colons qui les exploitent ont remporté des primes importantes dans les expositions du Comice.

L'influence heureuse de celui-ci, venu tard prendre rang dans l'armée du progrès agricole, a été décisive pour la contrée. Il existe depuis le mois de mars 1865. M. de Lentilhac, notre honorable secrétaire de la Société départementale d’agriculture, l’un de ses dignitaires dès le début, en parlait ainsi dans sa Monographie de l’arrondissement de Ribérac publiée dans nos Annales en 1871, c’est-à-dire six ans après la naissance de cette œuvre vivifiante : « … Sortant des errements des anciens comices, l’association de Neuvic, sous l’influence ferme et soutenue de son président et de son vice-président (alors M. Vidal et M. le docteur Lanauve), propriétaires agronomes aussi éclairés que sympathiques à la contrée, aux intérêts de laquelle ils se dévouent chaque jour, n'a rien négligé pour assurer à son oeuvre une robuste utilité. Améliorations foncières, propagation des meilleures races d’animaux, emploi d’instruments perfectionnés, soin des cultures, tenue des étables, viticulture et vinification, propagande agricole par la voie des instituteurs; réparation de chemins ruraux; vente à prix réduits d'instruments perfectionnés; distribution en primes d’instruments et ouvrages d'agriculture ; bons services ruraux, primes d'honneur pour l'ensemble et la tenue des domaines ; conférences agricoles mensuelles , expositions et concours annuels jugés par les membres les plus éclairés de la Société départementale d'agriculture; tel a été le programme poursuivi, et, disons-le hautement, réalisé par le Comice agricole de Neuvic. Quel que soit le sort que lui réservent les douloureux événements auxquels nous assistons, nous pouvons affirmer que ces cinq années d’existence ont été trop bien remplies pour ne pas laisser des traces profondes dans la contrée de Neuvic. »

Elles en ont laissé d'ineffaçables, nous en sommes convaincus, et l'on doit l'être d'autant plus que, maintenant sous la direction de son président, M. de Lentilhac, successeur du premier et zélé chef de l’entreprise, le sillon ne cesse pas d’être creusé de plus en plus profondément d’une main ferme que ne sauraient ébranler les découragements, fruit des jours mauvais qui ont presque brisé la force de notre pays, ni la sorte de défaillance qui suit d’ordinaire, comme une réaction inévitable, les élans bouillants d’une jeunesse courant après un succès qu’elle croit proche et se laissant aller parfois à des mirages trompeurs souriant à sa généreuse nature. La vieille et solide expérience de notre collègue saura conjurer les périls, raffermir les courages, en faire naître de nouveaux. Cette confiance se justifie chaque jour, et je ne suis pas étonné de lire aujourd’hui dans une lettre de l’un de mes correspondants : « Depuis quelques années,la culture a fait de nobles progrès dans le canton. Cette amélioration se remarque depuis la création du Comice cantonal. Les instruments abréviateurs se propagent d'une manière étonnante ; aussi la terre s'en ressent-elle. heureusement. La production fourragère marche-t-elle de pair avec l'augmentation du bétail et la fertilité du sol profite-t-elle admirablement de leurs heureux effets. On se livre avec ardeur à la culture des plantes sarclées dans toute la contrée ; aussi l'engraissement des animaux de ferme est-il une des principales ressources du pays. La production fruitière ne laisse rien à désirer ; on la pratique avec intelligence et elle donne des rendements en argent assez considérables. »

La récolte du froment, dans l’ensemble de la commune de Neuvic, peut être évaluée de 18 à 19 hectolitres à l'hectare. Sur la mémo superficie, celle du maïs s'élève jusqu'à 25 hectolitres. On cultive peu d'avoine, considérant cette céréale comme trop salissante et épuisante. Le canton est, on le sait,réputé pour ses tabacs. En certaines communes, il est vrai, situées en terrains calcaires, et où l'on a été trop de l'avant, sans assez prendre le moyen de réussir, il contracte facilement l’orobanche et son produit ne dépasse guère 400 francs à l’hectare, parce qu’on a trop abusé pour lui du sol, sans rendre à ce dernier la fertilité qu’on lui enlevait. Là, les planteurs se découragent, trop facilement peut-être , et délaissent la production d’une récolte à laquelle ils ont largement sacrifié. Mais dans la plaine il en est autrement, et le tabac y fait toujours la richesse du pays. Plusieurs vieux praticiens n’en retirent pas moins de 800 à 900 francs net, ce qui suppose le double brut, par hectare ; et l’on en cite qui ont payé des parcelles, achetées par eux assez cher, avec deux livraisons de cette solanée. Ce qui peut donner une idée des recettes ainsi obtenues, c’est que dans la seule commune de Neuvic, l’inscription des demandes de cultures prend cinq jours entiers aux employés et qu’il en faut trois pour la réception à la table d’expertise, des manoques présentées aux magasins de l’Etat3.

 

Vers midi, ayant pu me procurer une voiture dite jardinière, et un conducteur,j'ai conçu l’audacieux dessein de visiter à la hâte, toutefois avec soin, et en recueillant çà et là de précieuses données, Vallereuil, St-Séverin et St-Jean d'Estissac. J'allais partir après déjeuner, quand une averse survenue, fort mal à propos suivant moi, m'a contraint à rentrer à la Boule d'or, dont l’hôtelier avait l'honneur de m'abriter provisoirement. Enfin, le ciel a repris une teinte moins menaçante et le soleil a reparu. Mais le temps perdu ne se rattrape pas, dit le proverbe et j'ai dû rayer St-Jean de mon programme. Nous avons coupé la grand’ route à Tbéorac et nous sommes engagés dans la vallée du Vern que j'ai déjà décrite en racontant ma visite à Chaventou vers la fin de l'année 1876.  La commune de Neuvic s'étend en partie sur les coteaux qui la bordent à la droite du courant cl ce n'est pas là, comme on a pu le le lire dans mon récit du temps, sa fraction la plus florissante. Au bout de quelques instants, nous avons tourné vers le sud on traversant la petite plaine où le ruisseau coule partagé en deux bras arrosant des prés un peu marécageux, qui pourraient être aisément mieux tenus..Cependant, nous avons aperçu sur quelques points des rigoles d'assainissement et nous remarquons un herbage que.son propriétaire marne avec intelligence, et dont il sera, s’il ne l’est déjà, largement récompensé ; puis longeant à une certaine hauteur, la base des collines, nous sommes entrés dans une vallée secondaire, que vivifie de son onde claire un petit affluent du Vern. Sur les penchants de la chaîne, il y a de bonnes terres bien travaillées, produisant des blés et des tabacs estimés ; des vignes en joelles, nettes, dont la plupart semblent soignées et qui, m’assure-t-on, n’ont pas encore trahi par un commencement de déclin, la présence de ce presque invisible et terrible ennemi qu’on appelle le phylloxera. A ma grande joie, je découvre un petit champ de luzerne. Mes félicitations à son possesseur.

Les habitations sont assez nombreuses et semblent annoncer l’aisance ; la gorge n’est nullement triste. Nous y voyons apparaître un, puis deux, puis trois viviers d’eau limpide ; autant de sources qui vont grossir le ruisselet, qui lui-même vient de plus haut, d’un pli du sol dans lequel il est formé par une grosse fontaine jaillissante qui sort avec tant d’impétuosité qu’elle soulève dans son jet, à une assez grande élévation, le sable qui se trouve à son orifice et le fait retomber tout autour du conduit par lequel s’échappe la masse liquide arrivant sous terre de différents côtés à ce rendez-vous.

Un chemin presque perpendiculaire frappe nos regards sur la gauche ; il monte presque jusqu’aux deux tiers de la déclivité du coteau. Je demande dans quel but il a été fait et à quoi cette ligne raide tendue droit de la vallée sur le tertre peut servir. On me répond que c’est un raccourci pour aller à Vallereuil. Que ce soit la direction la plus courte, je le veux bien : mais il va falloir du temps pour le gravir, et quand on arrive au bout l’on ne doit pas avoir froid. Ah ! c’est cela peut-être ! un chemin d’hiver ! Très bien ! seulement s’il a plu et s’il a gelé par-dessus, il ne doit être praticable qu’à la descente qui dans ce cas est extrêmement facile et rapide : deux avantages. Pourvu toutefois qu’on ne se casse pas le cou, ce qui ne permettrait pas d’en apprécier toute l'utilité. Nous prenons une voie moins réfractaire à l’escalade, bien que singulièrement inclinée elle aussi, et arrivons au chef-lieu de la commune, bourgade assez éparse an flanc de la montagne. Il y a quelques maisons d'aspect convenable, dont une domine un joli petit enclos, travaillé diligemment et que je suppose dépendre du presbytère. Effectivement, je ne me trompe pas, et quand je vais, après être descendu de voiture, heurter à une porte voisine pour demander où demeure le pasteur de la paroisse, on me fait entrer dans une habitation en contre-bas de celle où j’ai frappé, mais située au-dessus du terrain en question et le bordant. M. l’abbé Burguières y réside. C’est un ancien militaire, un dragon, gardien de ce jardin des Hespérides, mais un dragon de fort bonne humeur, qui ne fait pas le moindre mal, qui fait beaucoup de bien, qu’on aime à cause de cela, chose rare, et dont l’accueil est aussi gracieux que franc et patriarcal. A peine me suis-je nommé qu’il s’empresse de me faire les honneurs de son domicile et de sa petite culture, fort bien conduite en vérité. Il y a dos légumes très remarquables, un carreau d'asperges dont on raconte des merveilles. ce qui permet à son directeur, à la saison, de porter des bottes à ses amis,et même à ses supérieurs, bottes sans pareilles, auxquelles on ne riposte que par des sourires de satisfaction et des remerciements. M. Burguières a de nombreux arbres fruitiers, dont deux amandiers, placés devant sa porte et empressés de lui faire fête, sont déjà couverts de fleurs roses, grave imprudence en février ! Au bas du jardin, les tiges en plein vent plongeant profondément leurs racines dans le sol, avaient fini par trouver le roc, aussi dur qu'un coeur humain et ne voulant pas s'ouvrir devant elles, malgré leurs supplications et leurs tentatives constantes, d’où leur mort était résultée prématurément. Ces infortunées victimes de la faim et de la soif ont été arrachées, converties en bois de chauffage et brûlées les besoins du logis, puis M. l'abbé Burguières a fait planter à leur place des poiriers en cordon sur cognassier, lesquels, établis dans un sol bien préparé, habilement conduits donnent des produits abondants en variétés de choix. Ils étaient, un ce moment, couverts de gros bourgeons, impatients de s’entr’ouvrir. Je souhaite pour la récolte de cet automne qu’ils ne l’aient pas fait encore, à l’instant où j’écris ceci, jour du Mercredi des Cendres et de gelée. Après un rapide coup jeté sur cette exploitation en miniature, mais bien entretenue et fructueuse, M. le curé déclaré qu'il se constituait mon guide, mon gardien, et répondait de moi. Pour être sûr que mes jambes ne fléchiraient pas, il m’a régalé d’un petit verre d’Elixir des Vosges, comme préparation à la course projetée. L’excellente liqueur de MM. Fourgeaud et Lacoste nous ayant fait beaucoup de bien, nous sommes aussitôt sortis pour commencer notre pérégrination.

Nous avons débuté par une visite à l’église paroissiale qui n’offre rien d’extraordinaire à l'extérieur. Son clocher est un pignon sans ornements. A l’intérieur le petit temple est simple et très bien tenu. L'on y compte deux chapelles différant de style. L'une d’elles a été construite par la famille de Talleyrand, dont une branche possédait la seigneurie du pays. Lorsqu'un de ses membres venait à décéder, on peignait en noir les murs de l'édicule qui restaient en cet état pendant un an. Après quoi l’on revêtait celte couleur funèbre d’un enduit blanc ; si bien que lorsqu'on a restauré le bâtiment, on a fait tomber près de 35 centimètres de plâtre des doux couleurs superposées successivement, et formant des couches, qui auraient pu renseigner, par leur nombre et leur position, sur le nombre de deuils survenus dans la souche suzeraine, beaucoup mieux que les couches géologiques ne pne peuvent le faire sur l'ordre et la durée des divers âges du globe. Il y a dans l’église de jolis autels en marbre sortis des ateliers de M. Lassoutanie, de la rue St-Martin , à Périgueux ; des vitraux, provenant de chez M. Gesta, de Toulouse, et un Chemin de Croix, dont deux ou trois tableaux remarquables contrastent heureusement avec ceux que le peintre a cru devoir laisser exécuter par ses élèves, sans doute pour montrer la distance artistique existant d’eux à lui. Faute d’entretien, les murs du choeur, rongés par l’humidité, se détérioraient, et le prédécesseur de M. l’abbé Burguières n’avait rien trouvé de mieux que de faire rehausser le sanctuaire d’une manière incommode et désagréable à l’oeil. On a remédié à ce défaut, et tout a été remis en ordre. Dans la sacristie, est un beau vestiaire très commode et bien ouvragé.

Ce qui nuisait aux murailles de l’édifice, c’était l’accumulation des terres contre leurs parois. On les a ramenées à un niveau qui ne permet plus à l’infiltration de l’eau de se produire et, en même temps, on a profité de la circonstance pour déplacer le cimetière qui, situé tout autour de l’église, pouvait occasionner des inconvénients sérieux pour la santé publique, outre qu’il rétrécissait les voies de communication au point de les rendre presque impraticables. Cette amélioration a été réalisée grâce à l’énergique intervention du curé qui, de plus, a usé de toute son influence pour assurer à la commune la ligne carrossable classée qui la traverse, et y rend les transports et la circulation faciles. Ce digne ecclésiastique a ainsi procuré à sa paroisse tous les avantages matériels en même temps que celui de l’instruction morale, et il ne cesse de répandre autour de lui les bienfaits. Il aime cette population qu'il a vue naître, grandir et arriver à l’âge mûr, presque toute entière, depuis trente et quelques années qu’il est à sa tête, qu'il a baptisé, catéchisé, mariée, qu’il guide dans la vie, qu'il assiste à la mort, et qui, ce dont nous le félicitons et le louons, l’aime à son tour et le vénère.

Au sortir du bourg, nous nous sommes engagés dans des chemine ruraux, à travers un pays montueux, mais bien cultivé, bien productif, sur l’arête des coteaux. Nous sommes ensuite parvenus à des châtaigneraies et a des taillis dominant une autre vallée où nous avons vu briller au-dessous de nous les eaux d’un petit étang et de sources, dirigeant leur superflu vers le Jaure, qui vient de la commune de ce nom, au canton de St-Astier. Dans un enfoncement du sommet, est une vaste habitation formant un carré de constructions, n'ayant qu'un rez-de-chaussée avec pavillon surmontant l’entrée de la cour. C’est la maison paternelle des deux abbés de Lespine que l’on confond souvent l'un avec l'autre, mais dont les vies furent bien différentes. L'aîné de ces deux frères fut le fameux érudit bibliothécaire royal, iet qui possédait sur l'histoire du Périgord et de ses principales familles, tant de documents intéressants, dont beaucoup malheureusement n'existent plus, dont beaucoup d’autres, ont disparu. Pendant la Terreur il se réfugia sur la terre étrangère, rentra lorsque Bonaparte eut rouvert les églises, et pendant les trois règnes de Napoléon Ier, Louis XVIII et

Charles X, remplit de la manière la plus distinguée le poste de conservateur des manuscrits. Il est mort en 1830. Le second, son filleul, prêtre aussi, d’un caractère faible, reconnut la Constitution civile du clergé, fut vicaire-général de l'évêque constitutionnel d’Angoulême et de Périgueux, emploi qu’il remplit jusqu’au rétablissement du culte catholique. Il avait quitté la particule, probablement par crainte, et après le Concordat, revenu dans sa commune, il s’y fit instituteur après s’être marié. Sa fut du reste honnête, et c’est à lui que presque toute la génération d’alors dans le pays dut son instruction. Il se faisait appeler Lafon-Lespine. De son mariage, il avait eu un fils, mort sans enfant.Ce fils n’était pas un grand clerc si ce que l'on m'a raconté est vrai. L’on prétend qu’il aurait fait chauffer four avec le contenu d'un grand coffre rempli de livres et de papiers de son oncle. L 'histoire en petit de la bibliothèque d'Alexandrie ! C'est peut-être à cet acte inconscient qu'il faudrait attribuer la perte d’une partie des chartes et volumes que Pierre de Lespine avait rassemblés de tous côtés et dont beaucoup n’ont pas été retrouvés. Les possessions de la famille des abbés de Lespine sont à présent fort morcelées et appartiennent à foule de propriétaires.

Avant contourné Leyfourcherie et gagné la cime du coteau nous sommes arrivés, en descendant quelques pas, vis-à-vis une gorge par laquelle le Jaure , grossi du ruisseau qui alimente l'étang dont je viens de parler, se dirige vers ses destinées.L’on y rencontre une sorte de petite esplanade nue se relevant en un bourrelet rocheux coupé droit vers le vallon d'en face et formant une muraille percée de deux ouvertures basses, entrée de cavités où conduisent des escaliers taillés de main d'homme dans Ie bloc. Ces souterrains, d'après quelques personnes, auraient jusqu'à vingt mètres de profondeur. N'ayant apporté ni lanternes, ni bougies, pas même la moindre allumette, nous n'avons pas essayé d'y pénétrer, mais mon guide,qui les a souvent explorés, m'a dit qu'on y trouve plusieurs espèces de cellules étroites, dont une, la plus grande, peut avoir six mètres carrés. On y aurait découvert des ossements humains, entre autres ceux d'un homme (un guerrier probablement) d'une taille fort au-dessus de l'ordinaire et qu’enveloppaient encore des restes de chaînes de fer. D’autres tronçons de chaînes y auraient été vus aussi, dans le temps, suspendus à des anneaux de pierre, taillés dans le roc vif. Ces indices ne permettent guère de douter que ces cavernes, agrandies et régularisées par le travail de nos ancêtres, aient servi de prison4. Mais de quelle époque est celle-ci ? Les uns la croit du VIIe siècle ; d’autres lui attribuent une antiquité beaucoup plus reculée, voulant y voir l’oeuvre des Druides. Ce qui pourrait, jusqu’à un certain point, justifier cette dernière opinion, c'est que, naguère encore, existaient dans les bois au-dessus, deux dolmens qui malheureusement ont été brisés. En avant de l’entrée de ces sombres réduits sont deux creux profonds d’environ deux mètres cinquante, en tenant compte des détritus amoncelés dans leur partie inférieure. Ils sont en tout cas semblables aux oubliettes des vieux donjons du moyen-âge, ce qui peut-être a donné lieu au nom qu'on a l’ensemble de ce singulier monument. Leur diamètre est calculé de manière à donner passage au corps d'un homme. Leurs entrées étaient dissimulées par des rondelles en pierre formant couvercle, mais que les pâtres du voisinage ont détruits en les faisant servir à leurs amusements ; Quelle était la destination de ces sortes de sacs forés dans la pierre ? iD’après bien des personnes ils auraient été simplement ouverts pour servir de silos à provisions. Les amateurs des âges nuageux croient qu’ils servaient à renfermer les victimes humaines que l’on devait quelques jours après offrir à la divinité gauloise et qu’on plaçait dans ces tuniques rocheuses pour les y purifier. Qui a tort, qui a raison ? C’est ce que je ne me charge pas de décider. Les deux versions peuvent, d'ailleurs, être fondées jusqu'à un certain point. L’endroit, encore quelque peu sauvage, malgré les défrichements, les routes, les constructions et les cultures devait être autrefois un véritable repaire, au milieu des bois épais. Il est possible qu'il ait d'abord été choisi par les Druides pour y offrir leurs sanglants sacrifices et que, plus tard, des routiers en aient fait un lieu de détention pour ceux qu’ils rançonnaient, en même temps qu'une sorte de grenier de prévoyance pour les moments où se procurer des vivres leur serait difficile et une cachette où ils mettaient en sûreté leur butin illicite.

Nous sommes non loin de St-Séverin d'Estissac, mais, en hiver, les jours sont de courte durée; de plus, le chemin de fer est à distance et le moment où le train va passer est proche. Il nous faut donc renoncer à pousser plus avant notre exploration et revenir sans avoir foulé la moindre partie du territoire que je comptais parcourir encore aujourd’hui de ces côtés. Ce sera d'ailleurs, me dit-on, une faible privation ; la commune voisine, peu considérable, n'offrant rien qui diffère beaucoup, comme aspect, du sol qie nous venons de traverser et n'ayant de remarquable que le soin avec lequel on a restauré sa petite église. Ce contre-temps ne m'en est pas moins pénible, mais par bonheur je me trouve être on ne peut mieux dédommagé de mon excursion manquée , le savant et consciencieux comte Ch. de Larmandie ayant bien voulu me tracer fidèlement l’esquisse de ce pays qui fut son berceau, dont il habite le voisinage, qu'il connait à fond, et une autre personne instruite ayant, à ce croquis, fait de main de maître, ajouté un coup de crayon qui le complète, je puis donc, en toute sûreté, donner à mes lecteurs une idée plus exacte du fief en question que celle que j'en aurais pu rapporter après l'avoir examiné scrupuleusement.

II se compose do trois paroisses : St-Séverin, St-Jean et St-Hilaire, et avait titre de châtellenie, ou juridiction, d'Estissac, érigée au XVIIe siècle en duché-pairie en faveur d’un La Roche-Foucault qui lui donna son nom. Plus tard, cette terre fut réunie à celle de Villamblard qui la touchait. Maintenant, la prem ière de ces fractions appartient au canton de Neuvic, les deux autres ont suivi la fortune de Villamblard et se trouvent dans le ressort de sa justice de paix. Saint-Séverin est une très petite municipalité d’un peu plus de cinq kilomètres carrés et comptant 170 âmes, 33 environ au kilomètre. Le sol en est assez ingrat, couvert en grande partie de landes, bruyères et bois. Elle a peu d’habitations remarquables. Son territoire formait une seigneurie donnant environ 500 livres de rentes foncières et appartenant à la famille de la Sudrie qui la vendit en 1741 à celle de la Rigaudie, moyennant la somme de 3600 livres. Elle est maintenant à MM. du Pavillon. L’église de St-Séverin a été naguère élevée au rang de succursale sous le ministère de M. de Fourtou.

St-Jean a 13 kilomètres carrés et 475 habitants, un peu plus de 36 au kilomètre. Les terres cultivables, les bois et les prés se partagent sa superficie. Son église romane semble appartenir au Xe siècle. Ses dépendances renferment trois anciens repaires nobles : celui de Royer, celui de la Beylie, demeure de l’ancienne famille de Chassarels dont le sang coulait dans les veines de la mère de l’illustre archevêque de Paris, Mgr Christoqhe de Beaumont, inhumée dans l’église paroissiale sous le choeur, et enfin celui de la Poncie, auquel une demoiselle de Poncie, des seigneurs de Bergerac, donna son nom. Ce dernier est un charmant castel de la Renaissance à toits aigus et à pignons à rampes en crémaillères. Il est situé sur un contrefort de la vallée d’un ruisseau affluent de la Crempse, et dont les eaux abondantes font mouvoir un moulin en baignant une vingtaine d’hectares de prairies.

C’est à la Poncie, qui depuis le XVe siècle appartenait à ses ancêtres, que naquit, en 1714, le célèbre abbé de Salignac-Fénelon, petit neveu du grand archevêque de Cambrai. Augustin devait être à son tour l’honneur de a noble race par son désintéressement et son ardente charité, bel apanage de ses aïeux, vertus qui brillèrent dans sa personne d’un si vif éclat. il fit ses études à Périgueux chez les RR. PP. Cordeliers. placé plus tard bien vue par sa naissance et son mérite, il fut apprécié à Versailles et devint l’aumônier de la vertueuse reine Marie Leszinska. la mort de cette princesse le fit se retirer dans le prieuré de St-Sernin, en Autunois, que le roi Louis XV lui avait donné et qui était un des plus pauvres du royaume, formé de tous côtés par des montagnes abruptes, des rochers désolés, des forêts immenses. La population était misérable. L’abbé de Fénelon rendit à ses main-mortables la liberté, les instruisit de leurs devoirs, les amena par la bienfaisance à la religion, releva les églises à moitié ruinées, construisit des ponts, ouvrit des routes, soulagea les misères. Il s’efforça de donner de l’essor à l’agriculture, et en imprima un vigoureux à l’industrie, à la suite des sondages qu'il fit exécuter, ayant soupçonné la richesse houillère de ces vallons, délaissés jusque-là. Bientôt, on lui dut une forge et une fonderie dans laquelle le célébre Wilkinson installa les premiers laminoirs qui aient été employés. Ces deux établissements sont devenus le noyau du groupe industriel le plus considérable de France, le plus complet, peut-être, existant au monde. Le Creusot, car c'est lui, cet immense atelier, cette ville ouvrière, riche et florissante d'où sortent tant de chefs-d'oeuvre, qui absorbe tant de millions et qui en produit bien davantage, doit ainsi son origine, son premier rayonnement à un prêtre périgourdin, à l'abbé de Fénelon. A ces utiles créations, l'infatigable et prévoyant prieur de St-Sernin ajouta celles d'un hôpital et d'une école. Il vint ensuite à Paris où, après avoir appelé la fortune au désert, il se mit à la recherche de l’indigence pour la soulager dans la grande ville. Il s’y fit le protecteur dévoué, l'aumônier, le père des petits savoyards. Il leur consacra ses soins, son avoir, quêta pour eux. Il les instruisait, les assemblait, les vêtissait, pourvoyait à tous leurs besoins, sans se lasser jamais. En même temps il se livrait avec ardeur à l'étude et éditait les œuvres complètes de l’immortel prélat, gloire de son nom et de son pays.

Les jours de la Terreur arrivèrent. Cet homme, dont toute l’existence avait été consacrée à faire le bien, fut arrêté, jeté dans un cachot, conduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné. Les petits savoyards se transportèrent en masse à la Convention et sollicitèrent la grâce de leur ange tutélaire. Leurs supplications, leurs pleurs furent inutiles. L'abbé de Fénelon périt sur l’échafaud en bénissant les orphelins ses enfants, et le peuple atterré. «  Les larmes coulent, les sanglots éclatent, le supplice devient saint comme un sacrifice », dit Lamartine. Non ! poète, répliquerons-nous ; ce ne fut pas un sacrifice saint. Ce fit un sacrifice odieux, déshonorant, offert par la folie furieuse à la basse jalousie et aux plus détestables passions.

Maintenant la terre de Ia Poncie est la propriété de M. de Bannes-Gardonne, auquel la dernière héritière de la branche de Salignac qui Ia possédait l'a léguée en 1834.

J'ai déjà dépeint St-Hilaire d’Estissac dans une précédente relation. Je n'ajouterai ici à son sujet, que peu de

mots pour dire que cette commune est entourée d'une ceinture de prairies baignées par trois cour.s d’eau, et que, parmi elles, il faut citer le magnifique herbage dit de Salles qu'engraisse naturellement un ruisseau y répandant les fumiers provenant du champ de foire de Villamblard et qui y a formé d'épaisses et fertiles alluvions. Cette prairie dépend de la propriété de Campagnac, d’une étendue de 100 hectares, laquelle, après avoir appartenu à M'me de Rohan-Chabot, duchesse d’Anville, et ensuite à divers acquéreurs, vient d’être achetée à M. Aloys du Pavillon par M. de Beauchaine, qui y fait élever une belle et commode habitation. Comme je l'ai dit dans le temps, la terre de la Rigaudie touche celle de Campagnac. Elle a 300 hectares de superficie et M, Xavier du Pavillon en est toujours propriétaire. Signalons également Leybardie, ancien et joli fier, où est né notre honorable collègue M. le comte de Larmandie. qui le conserve avec un amour filial bien naturel et légitime.

Nous avons pris pour revenir un chemin plus long, mais meilleur, en laissant derrière nous les villages de Fournier et de Martel qui dépendaient, avant la tempête de 1793, du monastère de Loumagne, situé sur les appartenances de St-Jean, à quatre kilomètres en aval du ruisseau de l'étang et dont il ne reste plus vestige. Après avoir dépassé des taillis assez peu fourrés nous sommes entrés dans une zone plus riante partagée, comme tout le reste du territoire, en une foule de petits lopins et quelques grands domaines. La commune de Vallereuil est une de celles où le progrès agricole devient de jour en jour plus sensible ; et cet avantage elle le doit, pour une bonne part, au zèle de son instituteur, M. Huot, qui depuis vingt ans ne cesse d'enseigner aux enfants les principes d'une culture sage et raisonnée, principes que beaucoup d'entre eux, devenus maintenant chefs de famille , propriétaires, fermiers ou colons, appliquent avec une réussite de laquelle naît une émulation salutaire. Il fait en classe un peu de théorie qui est mise en pratique pendant les heures de récréation, tantôt dans le petit jardin de dix ares de l’école, tantôt dans un champ de 22 ares, y attenant, où sont cultivés des légumes, des plantes sarclées, des fourrages artificiels, des arbres fruitiers que , par malheur, le phylloxéra vient d'envahir. La fabrication des engrais, leur emploi, la manière d’en obtenir la plus grande quantité possible sont l'objet d’une étude toute particulière et nombreuses et fréquentes recommandations. Le but constant du professeur est de bien faire saisir aux enfants que la terre ne se fatigue jamais, pourvu qu’on sache lui rendre par les engrais et le travail ce qu’elle nous prodigue largement. L'arboriculture occupe une grande place dans les leçons, ou les divers modes de plantation, taille et greffage des arbres fruitiers sont complaisamment développés. L’horticulture elle aussi, est l’objet de la sollicitude éclairée du vaillant maître. M. Huot , qu’on ne saurait assez, louer pour sa constance à répandre de bons germes agricoles dans l’esprit de la jeunesse qu’il instruit, a été, pour ce fait, plusieurs fois lauréat du Comice de Neuvic et de notre Société départementale. On voit que ce n'est pas à tort.

A quatre heures, nous rentrons au village. Aussitôt arrivé, je donnai l'ordre de mettre le cap sur Neuvic, mais M. l’abbé Burguières constatant que le vent soufflait du nord avec une certaine intensité, que le soleil caché derrière les nuages et déjà bas, n’échauffait presque plus l’atmosphère que parcourait librement une bise aigre, ne me permit de me mettre en route qu’après m’avoir fait prendre un doigt de vin de Bordeaux qu’il fit chauffer à mon intention et que je dus, pour lui plaire, faire suivre d’un biscuit de Rheims. M'ayant ainsi réconforté par une collation de lundi gras, il m'enveloppa d’une vaste macferlane qu’il recommanda à mon conducteur de déposer chez M. le doyen de Neuvic à son retour de la gare, et me prodigua encore, avant mon départ, les témoignages du regret qu’il avait de me voir le quitter si vite, et de sa sympathie, qui me furent au coeur. Quarante cinq minutes me suffirent pour gagner la station.

 

 

 

 

1 Page 405 :Quelques informations sur la propriété de Bassy appartenant à Monsieur Christian Labrousse de Beauregard récent acheteur de l'usine Marbot.

2Le passage est maintenant affranchi de toute taxe. NdT : 1883 ?

3note de la page 414

D’après un tableau que M. le Directeur de la culture des tabacs a bien voulu me fournir en avril 1884, voici le résultat comparatif du rendement du tabac dans le canton de Neuvic pendant les exercices 1880, 1881 et 1882, avec ceux relevés pour l’ensemble du département aux mêmes époques :

 Prix moyen par 100 kg   Produit en poids de feuilles par hectare Argent payé par hectares 
 1880     
 Pour le départ.  92 fr 79  1285  1183 fr 67
 Pour Neuvic  93 fr 59  1220  1134 fr 32
1881    
Pour le départ. 92 fr 55 1218 1123 fr 39
Pour Neuvic 95 fr 92 1192 1141 fr 90
1882    
Pour le départ. 82 fr 79 1110 922 fr 14
Pour Neuvic 86 fr 53 1099 945 fr 43

 

On voit que pendant ces trois campagnes le tabac du canton de Neuvic, inférieur quant au poids des feuilles par hectare à celui de tout le département, a toujours été payé à un taux plus élevé par cent kilogrammes, que la moyenne de celui du Périgord entier, et que sauf 1880, il a encore été le premier relativement au rendement en argent par hectare.

En 1883 il n'en a pas été de même : le canton, sous ce rapport, est resté sensiblement en arrière de l’ensemble du département, mais il est encore, et de beaucoup, le plus favorisé de ceux de l’arrondissement de Ribérac. En effet, celui-ci n'obtient que. 880 kilos de feuilles et pour 748 fr. de produits à l’hectare, tandis que ces chiffres sont pour Neuvic de 910 kilogrammes et près de 800 fr. en argent.
Les planteurs de la contrée n'ont donc pas lieu de se décourager.(1884)

4La tradition est d’accord avec cette idée. Ces souterrains s’appellent, en effet, dans le pays : les oubliettes des Fourniers.